6. Les problèmes actuels

 

 

 


Début 1999 le président du Syndicat national de l'édition se disait inquiet devant la situation critique du livre. Sans doute est-ce le cas de la plupart des industries culturelles.
Les problèmes évoqués par le SNE sont nombreux et portent essentiellement sur les points suivants :

L 'augmentation du nombre des titres (le chiffre a quasiment doublé en vingt ans) n'est pas, comme on serait tenté de le croire, un signe de bonne santé : les éditeurs ont tendance à lancer sur le marché des ouvrages dont bon nombre finiront au pilon, en espérant que l'un d'entre eux rencontrera le succès qui compensera l'échec commercial des autres. Mais les librairies -même si nombre d'entre elles ont fait de gros efforts d'extension en surface pour présenter les nouveautés qui leur sont envoyées par office- ne sont pas en mesure d'assurer aussi correctement qu'elles le souhaiteraient la promotion des œuvres les plus intéressantes et leurs clients se disent souvent noyés devant l'assortiment trop étendu qui leur est proposé : d'environ 18 000 nouveautés, en effet on est passé de 23 400 à plus de 44 000 titres en 2001. Mais le chiffre d'affaires n'a pas évolué dans les mêmes proportions…

Les tirages, en revanche, subissent une baisse régulière: de 13 729 en 1982, le tirage moyen est passé à 8797 en 1997 ; puis à 8 158 en 2000 et enfin à 7 934 en 2003. La très légère remontée de 2001/2002 n’est peut-être qu’un accident de parcours.

Les ventes n’ont pas considérablement cru (on est passé de 358 millions de volumes vendus en 1988 à 304 en 1994 avant de remonter à 413 millions en 2003) et parallèlement le développement du “photocopillage” a mis en péril certains secteurs (en particulier dans le domaine des sciences humaines) ?

Les ventes n’ont pas suivi l’accroissement de la scolarisation, l’augmentation des publics spécialisés, en particulier celui des étudiants et des enseignants : par exemple, les ventes annuelles des ouvrages de sciences humaines, d'après François Gèze – éditions La Découverte –, sont passées de 2 200 dans les années quatre-vingt à moins de 1 000 aujourd'hui.

Les éditeurs indépendants ont beaucoup de mal à accéder aux structures nationales de distribution et de diffusion. Si Harmonia Mundi distribue de manière très professionnelle plusieurs éditeurs indépendants ( Climats, Le Pommier, Rue du monde, les Éditions de l’Aube, etc), d’autres distributeurs ont récemment fait faillite (Alterdis et Vilo Diffusion) entraînant de nombreuses difficultés financières pour les éditeurs dont ils s’occupaient. Or, sans possibilité d’accéder à un réseau national de points de vente, les petits éditeurs sont contraints à rester dans la marge.

L'édition scientifique souffre, elle, de deux maux : la concurrence des périodiques (les bibliothèques universitaires scientifiques consacrent les deux tiers de leur budget à l'achat de revues de plus en plus électronique), et la domination de la langue anglaise, qui conduit nombre de chercheurs français à publier directement dans cette langue.

Le public des “ grands lecteurs ” ne cesse de diminuer, et, parmi les acheteurs, beaucoup se replient sur les valeurs sûres, les livres promus par une critique parfois trop complaisante, ce dont souffrent les jeunes auteurs. Par ailleurs, le marché des acheteurs de livres se fragmente de plus en plus : s’il est majoritairement féminin, plutôt diplômé et âgé entre 34 et 65 ans, l’amatrice de romans se distingue du consommateur d’ouvrages historiques, lui-même fort différent du client du polar ou du fan de bandes dessinées.

Le rôle du livre à l'école s'est fortement amenuisé (mais peut-être, grâce aux efforts des enseignants, au développement des BCD (bibliothèques centres documentaires, et des CDI (centres de documentation et d'information) retrouvera-t-il sa place).

On voit désormais les hypermarchés publier sous leur propre marque des ouvrages à prix très réduit (réédition de classiques libres de droits), l'apparition du “livre à 10 F” en 1993 avec la maison d'édition Mille et une nuits, démontrant qu’il y avait un marché nouveau pour des ouvrages à prix très attractif.

Il n’existe pas un format unique de livre électronique et les modes de rémunérations des auteurs et des éditeurs dont les livres pourraient être diffusés sur Internet, ne sont pas clairement définis. Par ailleurs, le marché du livre électronique n’a pas décollé et les maisons d’édition qui s’y étaient lancé ont, pour beaucoup, déposé leur bilan.

 

Dans le même temps, d’autres éditeurs insistent sur les signes positifs : la dernière enquête sur la lecture des jeunes, de Christian Baudelot est plus rassurante que les précédentes (Et pourtant ils lisent, Seuil, 1999),

dans plusieurs domaines, les essais et surtout le livre universitaire, un gros effort en matière de "petits prix" a été réalisé ces quelques dernières années, permettant à certains titres d’élargir leur public,

la présentation du livre, et notamment des collections de poche, est devenue souvent très attrayante,et surtout, on voit de "petits éditeurs", sans doute au prix d'efforts considérables, réussir à acquérir une place non négligeable et apporter un sang neuf à l'édition de littérature et de sciences humaines.

  Mais, au delà de ces points de discussion, il faut souligner avant tout le fait que les conditions générales de cette activité d'édition qui auparavant s'inscrivait dans la durée ont profondément changé, du fait des conditions de la distribution : Antoine Gallimard soulignait, dans une interview (Le Débat, n° 86), qu'hier, un éditeur pouvait “publier et diffuser un auteur pendant vingt ans, trente ans, jusqu'à ce que son talent s'impose et soit reconnu”: aujourd'hui, c'est beaucoup plus difficile. La logique financière et la mentalité des cadres des grands groupes de communication sont en effet radicalement étrangères à celle de la rentabilité sur le long terme et de la péréquation entre les titres, ceux qui se vendent finançant les autres et permettant cette prise de risque. La logique actuelle et les demandes des actionnaires vont vers une rentabilité sur le court terme, ce qu’illustrent les propos récents de responsables des deux plus grands groupes réclamant une rentabilité à deux chiffres (jusqu’à 15 %) à leurs éditeurs…
De ce fait, on s’oriente de plus en plus vers une édition à deux vitesses : d’un côté des grands groupes qui privilégient les marchés assurés d’un importante commercialisation (livres de référence, scolaires et parascolaires, pratiques, auteurs à succès, best et méga-sellers, – les grands groupes d'édition ont tendance à concentrer leurs efforts sur les livres de vente sûre, ou ceux qui correspondent à la mode ou aux problèmes du moment, sans jouer leur rôle de découvreurs de nouveaux talents ; ils sont surtout préoccupés par ailleurs par le développement du multimédia), et de l’autre des structures plus petites, parfois marginales, mais jouant quelque peu le rôle de "talent scout" ou "dénicheur de talent" pour dégager idées neuves et jeunes auteurs. Dans la mesure où, pour toucher un public large, il faut en passer par les structures de distribution et de diffusion des groupes plus puissants, puis ensuite avoir les moyens financiers d’un développement que les capitaux propres et ses marges ne suffisent pas à créer, les succès de ces éditeurs indépendants sont sur le long terme assez facilement récupérés par ces groupes qui savent en débaucher les auteurs, voire racheter purement et simplement ces maisons au premier besoin ou problème financier. Cette logique du développement externe (par rachats) est une autres des caractéristiques de ces groupes d’édition et de communication.